La « beauté » du dégradé de distorsion des amplis est, en 2006, un des paramètre principaux acceptés par les audiophile pour en décrire la qualité auditive. Cela semble être une rêgle bien établie et indiscutable.
Pourtant, si l’on cherche un peu, on se rend compte qu’il n’y a aucune publication sérieuse issue de travaux scientifiques solides. Je ne demande qu’à avoir des références, mais pour l’instant, je ne l’ai toujours pas trouvée vraiment. Etrange pour une propriété qui semble aussi inconstestable.
La seule publication disponible que l’on retrouve citée régulièrement est la thèse de Daniel H. Cheever de 2001. Du sérieux, bien que je sois à priori étonné qu’elle soit aussi récente.
Pourtant, si l’on entre un peu dans le texte, on s’aperçois que cette publication n’a de thèse que le nom. Ca serait plutôt un texte faisant partie des épreuves à passer pour avoir son master of science. Très court (moins de 100 pages), le contenu ne passerait pas 10 secondes devant un jury de thèse réel. Je ne l’accepterais même pas comme rapport de stage quand j’avais des étudiant de fin d’étude d’école d’ingénieur.
Le problème le plus grave de cette « thèse » est la démarche scientifique totalement inepte. Au delà de la légèreté du contenu, il est inadmissible d’utiliser des références qui ne sont pas scientifiques (Stéréophile par exemple) comme étant des preuves. En regardant la bibliographie, on remarque qu’il n’y a aucune antériorité sur le sujet. Toutes les références (lorsqu’elles sont issues de textes plus sérieux) sont relativement éloignées du propos (avec les sempiternelles obsolètes publications de Mati Otala sur la TIM).
Au delà des affirmations non prouvées et des raccourcis logiques qui ne le sont pas, ce texte n’a strictement aucune valeur scientifique. Prenons par exemple le coeur de la « démonstration » que je résumerais ainsi :
L’oreille produit de la distorsion en grande quantité selon un motif particulier (enfin, supposé être identique à celui du chat !) . Si le signal contient un motif analogue, alors il sera perçu comme pur.
Je ne vois absolument aucune raison de la validité de ce fait et si Cheever avait simplement essayé, il se serait aperçu que c’est totalement faux. Si l’on prend les fameuses courbes de contenu harmonique et que l’on synthétise un signal suivant le même pattern, il est perçu comme tout, sauf pur. J’ai essayé avec le niveau de référence 90dB, on entend parfaitement la H2 par-dessus qui est particulièrement gênante. Ce test montre par ailleurs que la H2 n’est pas plus agréable à partir du moment où on l’entend. Simplement, il en faut plus que de la H3. La logique utilisée ici est totalement identique à celle de Dieter Ennemoser et son C37. Sauf qu’elle est moins grossière dans la forme.
D’un autre coté, ce texte essaie systématiquement de faire des expériences qui vont confirmer les affirmations qui déjà sont non pertinentes dès le départ. On est exactement dans la même logique que le texte de Johannet. Il utilise des bancs d’essais Stéréophile pendant que le deuxième le fait avec la NRDS. Les hypothèses sont ensuite basées sur une expérience non décrite (juste un encart de bas de page) entre un ampli à tube 45 qui fait du 1.36% de distorsion à 0.4W (!) et un ampli Hafler DH500. Les auditeurs ont 100% préféré l’ampli à tube comme étant plus « naturel » avec plus de « grain » et une meilleure « image ». Bien sur, on ne sait pas combien d’auditeurs et si l’on suit les renvois, on se rend compte que ce n’est qu’une reprise d’un article de… Stéréophile. En fait, on ne sait pas très bien si il a expérimenté quoi que ce soi. Le texte contient des mesures qu’il semblerait avoir faites pour étayer des résultats dont il n’est pas l’auteur. Ce qui serait assez gonflé ! En plus, avec de tels taux, il n’est pas necessaire d’aller chercher midi à 14 heures pour expliquer les résultats de l’expérience. Ce qui est gènant, c’est l’utilisation du mot « naturel » dans un contexte scientifique, terme qui permet à peu près n’importe quoi. En plus, sur une écoute en simple aveugle, on reconnait bien la fiabilité des résultats que l’on peut attendre d’une revue subjectiviste à outrance dont le fond de commerce est de promouvoir du matériel toujours cher et souvent quelconque techniquement.
Bien sur, le but étant de trouver un coefficient miracle pour juger de la qualité d’un ampli par son dégradé, une formule s’en dégage, formule qui ne fait que donner un poids plus élevé aux rangs élevés, tout en suivant la loi de distorsion intrinsèque auditive. La vérification de cette loi devrait se faire au minimum sur deux amplis qu’il serait logique d’être identique à ceux qui ont servi d’hypothèse. Et bien non ! Si le SE 45 est conservé, c’est un « bipolaire de qualité moyenne » qui est utilisé pour le second. Pourquoi n’a-t-il as utilisé le Hafler précédent ? Mystère. Parce que le nouvel ampli, bonjour la grosse daube ! 1.1% de distorsion à 0.72W avec plein d’harmoniques de rang élevé, bref le candidat idéal pour faire exploser le coefficient de qualité maison… A mon avis le Hafler aurait explosé le 45 sur la même mesure (je ne parle même pas du Bryston cité en référence dans l’introduction avec publication de son spectre de distorsion dont tout se situe en dessous de -90dB). Quand je dis que le Hafler n’est pas utilisé, je mens un peu, car le texte finit magistralement par une mesure ou le Hafler est utilisé avec la boucle de CR coupée, en injectant le signal de test au niveau de la CR ( !), et donc présentant un taux de distorsion assez énorme. Preuve que c’est pour ça qu’il est moins bon ! En gros, « regardez comme c’est catastrophique quand l’appareil est mis en panne ! » Grotesque.
Je ne vais pas décrire page par page ce texte qui est un exemple caricatural de ce qu’il ne faut jamais faire lorsque l’on publie un texte scientifique. Je ne comprends pas comment il a pu être approuvé; a mon avis, il n’a même pas été lu.
La conclusion, elle, est sans appel : cette référence est totalement non pertinente pour appuyer l’hypothèse de la forme du dégradé sur la qualité des amplis. La preuve est pourtant très simple à établir : il suffit de générer des signaux avec des dégradés de toutes sortes et je défie quiconque d’entendre la moindre différence lorsque le signal contient des harmoniques élevées à des niveaux de -80dB et ce quelque soit le motif. Et ça, n’importe quel ampli à transistor sait le faire. Et puis, qui penserait sérieusement que ces niveaux vont interférer avec les valeurs issues des enceintes dont ont ne parle pas trop du dégradé…
Personnellement, je suivrais l’adage de The Audio Critics : « tous les ampli présentant une bande passante large, une impédance d’entrée élevée, une impédance de sortie faible et une distorsion très en deçà du niveau audible sonneront d’une manière identique ». Jusque à présent, je n’ai jamais vu de contre exemple… Et la thèse de Cheever est plus une pollution des esprits qu’une avancée dans la recherche de la qualité.
Commencez déjà à vous occuper de la salle d’écoute.
Jipi